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Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/203

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Desboutin me fait asseoir dans un grand fauteuil de velours vert, le meuble d’apparat du logis. Il enduit d’huile une planche de cuivre pour en enlever le brillant, et se met à crayonner sur son genou.

C’est une tête originale, avec une chevelure à la Giorgion, une tête toute cahoteuse de méplats et de rondeurs turgescentes : une tête de foudroyé. Sa mère avait douze cent mille francs, qu’elle a perdus, en lui laissant des dettes. Il avait acquis des terrains à Florence, et une partie de ces terrains lui était achetée 250,000 francs, pour le percement d’un boulevard, quand le transfèrement de la capitale d’Italie à Rome a fait abandonner le projet. Sa peinture ne se vend pas, et sa littérature — il a fait le Maurice de Saxe avec Amigues — ne lui rapporte pas plus que sa peinture.

Soulevant la portière, une Italienne, sa femme, est entrée dans l’atelier, promenant sur les bras, de long en large, une petite fille. Puis est apparu sous la portière, à quatre pattes, un joli gamin tout frisotté, qui, après quelques instants d’hésitation, s’est décidé à venir à nous. Et là dessus est rentrée, toute joyeuse de sa promenade dans la cour, la mère des petits chiens.

Desboutin a attaqué, avec la pointe, le cuivre à vif, passant à tout moment l’envers de son petit doigt, chargé de noir, pour se rendre compte de son travail, cherchant en même temps, ainsi qu’il le disait, la couleur et le dessin, et laissant transpirer