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Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/355

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que fait dans la pierre d’une capitale, un coucher de jour, des silhouettes noires marchant, un journal devant le nez, sur le bitume mou. — Un glissement, un bruissement d’êtres silencieux, dans la mort du jour, allant aux kiosques illuminés du rouge transparent des annonces de l’eau de Botot, et s’accumulant en un coin du boulevard. — Puis, tout à coup, de ces tas d’hommes sous les arbres, dont le gaz se met à éclairer le feuillage poussiéreux, s’élève un murmure de phrases, en une langue inintelligible, qui devient un braillement énorme.

Ceci, c’est la petite Bourse du boulevard des Italiens, le soir d’une bataille parlementaire.

Jeudi 21 juin. — Toutes les fois, que je dîne chez un restaurateur du boulevard, sur les huit heures, je vois arriver, porté sur ses béquilles, un jeune étranger, dont la colonne vertébrale, molle comme celle d’un ver à soie, forme un S. Ce monsieur, à l’arabesque fantastique, possède une barbe rousse d’apôtre, qui lui tombe jusqu’au milieu de l’estomac, et une tonsure naturelle, faite d’un petit rond, dans ses cheveux coupés ras. Il est accompagné d’une jeune femme, d’une nationalité interlope, avec un bout de nez rouge de clown anglais, dans une figure toute blême.

Et tous deux se plongent, avant de manger, dans la lecture d’imprimés immenses, où les raccourcis