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Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/55

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Au milieu des atomes crochus, qu’il sent autour de lui, il devient, de minute en minute, plus expansif, et nous raconte, à la fin, l’heure de sa vie la plus remplie de sensations.

Dans sa jeunesse, il avait fait la cour à une jeune fille qui s’était mariée à un autre. Après un séjour de huit ans en Allemagne, il revient en Russie. C’était au mois de juillet.

Il se trouve chez la mère, pendant trois jours de fête donnés par cette Russe pour la naissance de sa fille, qui les passait seule chez elle, ayant laissé à la maison un mari malade, hypocondriaque. La mère était une femme folle de plaisirs, et la maison toute pleine de joie et de danses. Un soir il invite la jeune femme à une mazurka. En la conduisant, il lui dit :

« Tenez-vous à danser, si nous causions ?

— Comme vous voudrez. »

On quitte la salle de danse. À côté de la salle, c’est une série de chambres, où l’on joue au whist. Il y en a encore de plus reculées, qui ne sont éclairées que par la lune, mais où pénètrent, à tout moment, des danseurs. Ils se sont assis dans une de ces dernières pièces, sur un divan appelé paté, en face d’une grande fenêtre ouverte. Ils causent, la femme un peu détournée de lui, et regardant le jardin.

De temps en temps, un groupe de mazurkeurs pénètre dans la chambre, y tournoie, disparaît.

Tout à coup, la femme tourne vers lui ses grands yeux, des yeux immenses, relevés à la chinoise… Alors il ne sait comment ça s’est fait, mais, dans le