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Page:Goncourt - Journal, t8, 1895.djvu/256

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de jeter deux ou trois bêlements, est culbuté, enroulé, immergé, disparu, n’ayant plus au-dessus de lui qu’une pauvre patte agitée par de mortels gigotements qui vont en diminuant, jusqu’à ce qu’elle vienne raide immobile, dans le resserrement des anneaux énormes du serpent.

Et pendant ce travail de compression et d’étouffement, une vie de flamme est venue aux yeux du serpent, le terne de sa peau a disparu sous un vernissage comme produit par une petite suée, qui fait les squames de son dos pareilles à de l’écaille blonde, semée çà et là, de ronds noirs semblables à des armoiries de shoguns japonais, tandis que les squames jaunâtres du ventre se nuancent du beau jaune impérial d’un émail chinois.

Alors la gueule du monstre s’ouvre, et la patte par laquelle l’agneau a été saisi, va rejoindre en l’air, tout ensanglantée, l’autre patte ; et le serpent resté un moment immobile dans son enroulement, de sa gueule qui a le rose pâle de l’ouïe d’un poisson, fait jaillir le dardement de sa petite langue fourchue, au scintillement noir, du noir d’une sangsue.

Puis, alors commence la recherche de la tête de l’agneau, que dans sa stupidité de reptile, le serpent ne sait plus être sous lui, une recherche qui n’en finit pas, et coupée par des repos, des endormements, où il n’y a d’éveillé en lui, que le petit scintillement noir de sa langue fourchue : cela au milieu du resserrement de ses anneaux, laminant le petit corps, qui ne semble plus qu’une toison fripée, sans rien dedans.