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Page:Goncourt - Journal, t8, 1895.djvu/28

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Samedi 16 février. — Au fond chez Shakespeare, malgré toute l’humanité ramassée par lui en son entour, et plaquée dans ses pièces sur des êtres d’autres siècles, cette humanité me paraît bien chimérique. Puis ses bonshommes sont parfois terriblement ergoteurs, disputailleurs, malades à l’état aigu de cette maladie anglo-saxonne : la controverse, et la controverse scolastique.

Enfin, il y a une chose qui m’embête chez le plus grand homme de lettres incontestablement du passé : c’est le défaut d’imagination. Oui, oui, c’est indéniable, les auteurs dramatiques de tous les pays depuis les plus renommés dans les anciens jusqu’à Sardou, manquent d’imagination et créent d’après les autres. C’est chez nous l’incomparable Molière, et Dieu sait que presque tout son théâtre, ses scènes célèbres, ses mots que tout le monde a dans la mémoire, c’est presque toujours un vol, vol dont les critiques lui font un mérite, mais moi, non.

Eh bien, Shakespeare qui est un autre monsieur, lui aussi, hélas ! c’est de vieux bouquins qu’il les tire ses personnages, et malgré toute la sauce de génie qu’il y met, je le répète, ça m’embête, et je trouve qu’on est plus grand homme, quand on tire ses créations de sa propre cervelle. C’est pour cela que Balzac m’apparaît le grand des grands.

En résumé, je ne trouve dans les quatre ou cinq pièces supérieures de Shakespeare, tout à fait hors ligne, que la scène de somnambulisme de lady Macbeth, s’essayant à effacer la tache de sang de sa