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Page:Goncourt - Journal, t9, 1896.djvu/129

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Pas de chance, Daudet, l’ami qui m’apportait, tous les deux ou trois jours, tantôt sur le bras d’Ebner, tantôt sur le bras d’Hennique, un peu de vie intellectuelle, est souffrant, et ne peut sortir de sa chambre.

Vendredi 31 mars. — Ah ! que je donnerais tous les condors de Leconte de Lisle, et même une partie du bagage lyrique de Hugo dans la Légende des siècles, pour cette page des Mémoires d’Outre-Tombe, où Chateaubriand peint dans l’antichambre de M. du Theil, l’agent du comte d’Artois à Londres, ce paysan vendéen, cet homme qui n’était rien, au dire de ceux qui étaient assis à côté de lui, ce héros obscur qui avait assisté à deux cents prises et reprises de villes, villages, redoutes, à sept cents actions particulières, à dix-sept batailles rangées ; et qui, dans l’étouffoir fade de l’antichambre diplomatique, devant une gravure de la mort du général Wolfe, se grattait, bâillait, se mettait sur le flanc, comme un lion ennuyé, rêvant de sang et de forêts.

Samedi 1er avril. — C’est vraiment curieux, que le livre, les Mémoires d’Outre-Tombe, sur lequel mon frère est tombé mourant, ait recommencé à être la lecture des jours, où je n’étais pas bien certain de la continuation de ma vie.