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Page:Goncourt - Journal, t9, 1896.djvu/78

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côtés de ma tante, je commençai à me familiariser avec sa douce gravité et son sérieux sourire, remportant au collège des heures passées près d’elle, sans pouvoir me l’expliquer, des impressions plus profondes, plus durables, plus captivantes, toute la semaine, que celles que je recevais ailleurs.

De ce second appartement, ma mémoire a gardé, comme d’un rêve, le souvenir d’un dîner avec Rachel, tout au commencement de ses débuts, d’un dîner, où il n’y avait qu’Andral, le médecin de ma tante, son frère et sa femme, ma mère et moi, d’un dîner, où le talent de la grande artiste était pour nous seuls, et où je me sentais tout fier et tout gonflé d’être des convives.

Mais ce dîner, c’était l’hiver, où je ne voyais ma tante que pendant quelques heures, le jour de mes sorties, tandis que l’été, tandis que le mois des vacances était une époque, où ma petite existence, du matin au soir, était toute rapprochée de sa vie.

Dans ce temps, ma tante possédait à Ménilmontant, une ancienne petite maison, donnée par le duc d’Orléans à Mlle Marquise ou à une autre illustre impure.

Oh ! le lieu enchanteur, resté dans ma pensée, et que, de crainte de désenchantement, je n’ai jamais voulu revoir depuis ! La belle maison seigneuriale du XVIIIe siècle, avec son immense salle à manger, décorée de grandes natures mortes, d’espèces de fruiteries tenues par des gorgiases flamandes, aux blondes chairs, et qui étaient bien certainement des