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Page:Gréville - Suzanne Normis, roman d'un père, 1877.djvu/265

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ROMAN D’UN PÈRE.

Suzanne revint peu à peu à sa première pensée, et se tourna vers moi avec une expression d’amertume résignée qui me toucha profondément.

— Je ne serai rien, dit-elle, ni épouse, ni mère, ni femme du monde, ni femme utile ; je serai ta fille, rien de plus, et c’est une douce tache que d’embellir les vieux jours d’un père tel que toi !

Je la serrai sur mon cœur. Elle me rendit mes caresses, puis reprit :

— Tu dois avoir un souci, père, et je sens que depuis longtemps j’aurais pu, j’aurais dû te l’ôter. Je n’attendrai pas plus longtemps. Tu as pensé souvent, n’est-ce pas, à ce qui arriverait si je rencontrais un jour, n’importe quand, l’homme que j’aurais pu épouser, et que j’aurais aimé ?

Suzanne touchait là une des cordes les plus sensibles de mon cœur ; oui, j’avais pensé à ce jour, et j’avais reculé devant cette pensée, car je me sentais impuissant devant ce malheur-là !

— Eh bien, père, rassure-toi, continua-t-elle avec une sorte d’exaltation ; moi aussi, j’ai pensé à cela ; j’ai réfléchi longtemps, et j’ai gardé le silence parce que je ne savais pas si je serais