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Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/152

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EN LA MAISON DU MÉNÉTRIER

malédiction ! puisses-tu être le dernier de mes jours ! Je perds à la fois ma place et mon fils ; il ne me reste plus qu’à perdre la vie. Le malheureux s’est engagé dans une troupe ambulante ! Pendant que je le croyais occupé à manier la scie ou le marteau, il désertait l’atelier, il allait prendre des leçons de danse ; il me trompait, le scélérat, il trompait tout le monde ! Le mensonge conduit à tout, cet enfant déshonorera mes cheveux blancs !

Fanny et Irma se mirent aux genoux de leur père, et essayèrent de le calmer.

— Laissez-moi ! continua-t-il en les repoussant ; je lui donne ma malédiction. Mépriser mes avis et s’engager dans une troupe de cabotins ! est-ce là, je vous prie, le début d’un artiste véritable ? Qu’y a-t-il à faire pour un danseur sur des planches nomades ? Quelques misérables entrées dans une obscure bourgade ; tout au plus un pas de deux si l’on s’élève jusqu’à la sous-préfecture.

— Mais ne faut-il pas un commencement à tout ? reprit doucement Fanny. Notre frère ne s’en tiendra pas là ; il nous a dit en nous embrassant : « Je reviendrai bientôt débuter à Paris ; moi aussi, je veux être artiste comme mon père. »

— Toujours la même réponse ! Ingrates filles, non contentes de perdre mon Joseph, vous l’avez aidé dans sa fuite, vous n’avez pas craint de devenir ses complices. Je vous maudirais comme lui, si vous n’étiez à jeun… Y a-t-il longtemps qu’il est parti ?

— Une semaine.

— Reviendra-t-il bientôt ?

— Il nous fera savoir l’époque de son retour.