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Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/196

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À CHAQUE FOU

Le sultan, mécontent de cette réponse, regretta de n’avoir pas fait couper le cou à Scheherazade ; il eut même un moment la velléité de se livrer à cette fantaisie pour se distraire ; il résista néanmoins à ce désir, en se répétant ces mots mémorables : Un sultan n’a que sa parole. Cette victoire remportée sur ses passions mérite d’être signalée, surtout chez un monarque aussi absolu que l’était Schahriar.

Cependant le sultan maigrissait à vue d’œil, et restait plongé dans une mélancolie profonde ; son nain favori, son fou qu’il aimait tant, ne pouvait parvenir à le distraire ; le malheureux fut même exilé de la cour. Les courtisans, forcés de maigrir comme leur maître et de feindre une désolation immense, résolurent de tirer leur souverain d’un état qui pouvait compromettre leur tempérament et affecter leur intelligence. Les ministres et les grands de la cour se réunirent en conseil ; on y appela la sultane Scheherazade, qui avait déjà réussi une fois à dissiper l’humeur noire de son époux, et dont la réputation de sagesse commençait à se répandre dans tout l’Orient.

Quand le conseil fut réuni autour d’une table recouverte d’un tapis vert, selon l’étiquette orientale, le visir prit la parole en ces termes :


Messieurs et chers collègues,

Ainsi qu’il convient à des sujets fidèles et dévoués, nous ne devons pas avoir de souci plus grand que le bonheur de notre maître. (Très-bien.) La santé, s’il faut en croire le poëte Ferdoussi, est la clef du bonheur ; (Assentiment.) l’ennui, dit le philosophe Al-Fharbi, est la pire des maladies.