Aller au contenu

Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
206
DE MAIGRE POIL

moi le mot) d’un usage plus économique qu’aucune de ses compagnes gâtées par la prospérité, qui vous éblouissaient de leurs atours insolents. Le malheur de ce raisonnement, si juste en apparence, est d’être constamment démenti par les faits. Vous n’avez trouvé la Tonina ni moins vaniteuse, ni plus accommodante que ses camarades les plus à la mode. Du moment où elle vous a vu tenter fortune auprès d’elle, cette pécore a fait la renchérie, comme si elle n’était pas endettée jusqu’aux oreilles, couverte de mauvais haillons, et, faute de crédit, réduite les trois quarts du temps à dîner par cœur. Tous ces désavantages, elle les aura présentés avec adresse comme autant de mérites singuliers. Dieu sait si elle aura fait sonner haut son titre de débutante ! Dieu sait quels contes elle vous aura bâtis sur sa vie passée ! Et, quant aux dédains dont elle a été l’objet depuis son arrivée ici, elle n’a pas manqué sans doute de les attribuer à sa vertu farouche qui décourageait toute tentative. Voyons, carissimo, n’est-ce point cela ou à peu près ?

Il m’eût fallu plus d’à-plomb que je n’en avais alors pour contredire messer Casanova. Sa perspicacité n’avait omis aucun détail, et l’on eût dit qu’il avait prêté l’oreille à tous mes entretiens avec la Tonina.

Voyant que ses conjectures tombaient juste, il reprit sur un ton d’ironie encore plus marqué :

— Après que votre divinité s’est entourée ainsi de tous les prestiges qu’elle a pu réunir, trouvant en vous la noble crédulité d’un galant homme qui n’a pas encore été dupe, elle a profité largement d’une occasion qu’elle n’aurait osé attendre. Elle vous a vendu de simples espérances, — et