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Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/299

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L’ÂNE DE PLUSIEURS, ETC.

sur l’herbe épaisse et tendre, dont il tond à chaque instant un peu plus que la largeur de sa langue. Les enfants du meunier le poursuivent ; et lui, cet autre enfant, il joue avec eux et mange dans leur main.

Vous auriez beau parcourir tous les moulins, toutes les fermes des environs, nulle part vous ne trouveriez un âne aussi joli, aussi gracieux que Jacquot. Sa robe est grise, le bout de son museau blanc comme le lait ; ses quatre jambes sont traversées par une raie noire, juste à l’endroit où la jeune meunière attache ses jarretières ; sa queue est terminée par une magnifique touffe de poils frisés et soyeux ; il a ce qu’il faut d’oreilles à un âne de bonne condition. Certainement l’âne qui inspira à M. de Buffon son fameux chapitre, n’était ni mieux fait, ni plus beau que notre Jacquot.

Jusqu’ici on l’a laissé libre, il a pu sans contrainte se livrer aux joies bruyantes de l’enfance ; mais le jour est arrivé où il doit faire son entrée dans le monde. Quelle belle journée ! comme les foins sentent bon ! quelle douce saveur ont les fleurs de la luzerne ! Jacquot n’a jamais été plus vif, plus espiègle, plus coquet ; on dirait, à voir sa légèreté, qu’il court après les papillons qui voltigent autour de lui. Sois heureux, Jacquot ; jouis une dernière fois des charmes de cette matinée de printemps. L’enfance, c’est la liberté, c’est l’insouciance, c’est le bonheur ; dans un moment tu diras adieu à tout cela. Le meunier s’avance, tenant la bride d’une main, de l’autre le bât ; Jacquot le laisse approcher sans défiance. L’éclat des pompons rouges le séduit ; voilà, pense-t-il, une parure qui ne me messiéra point, j’irai tantôt me mirer dans l’onde voisine. La bride