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Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/332

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UN PIED VAUT MIEUX

Sans leur répondre autrement, — car ils étaient chez lui, — ce digne homme leur raconta son histoire ; elle était moins compliquée que la leur :


— Je ne sais, leur dit-il, si vous vous rappelez certain souper d’il y a six ans, où, sans m’en douter, je fus ni plus ni moins prophète que M. Cazotte. On m’y trouva fort absurde à ce qu’il me parut, et cela ne m’a point empêché de régler ma conduite d’après les idées que j’avais émises en cette occasion. Une seule fois, — et je m’en repens, — elles ont cédé à un sentiment de fausse honte ; ce fut le jour où je me laissai persuader que je devais faire à mon rang le sacrifice de ma patrie. Quoi qu’il en soit, à peine eut-on fermé derrière moi les portes de la France, que le sang-froid et le bon sens me revinrent ; je cherchai s’il y avait en moi une autre étoffe que celle d’un chevalier errant toujours prêt à faire le coup de lance pour des causes perdues, et je découvris, à ma très-grande satisfaction, que mon respect pour Rousseau m’avait pourvu de facultés plus essentielles. Les employer ne fut pas difficile ; il ne fallait pour cela que renoncer aux chimères d’une vaine espérance, aux illusions d’un fol orgueil. Je l’ai fait en acceptant une situation, fort humble sans doute, mais dont votre visite m’a révélé tout le prix. Quant à ce que vous semblez penser des devoirs que la naissance impose, des positions incompatibles avec tel ou tel préjugé de caste, etc., j’avouerai naïvement que je le comprends à peine ; et, à ce sujet, je vous lirai volontiers quelques phrases d’un livre que je compose à bâtons rompus sur les marges de mon cahier d’arpentage.