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Page:Grandville - Cent Proverbes, 1845.djvu/339

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EST PLUS HAUTE, ETC.

— Je ne dors plus, lui dit-il ; dès que l’aurore a posé ses doigts de roses sur le sommet de mon palais, une créature infernale commence à glapir et à roucouler ; toute la journée, je suis poursuivi par ses maudites notes. En ce moment même il me semble avoir des dièses et des bémols dans les oreilles. Ne pourriez-vous, par égard pour mon sommeil du matin, faire écrouer cette fauvette dans quelque forteresse ?…

— Y pensez-vous, mon cher Agnolo-Bernardo Antivalomeni ? reprit l’intendant des menus-plaisirs. Ne savez-vous pas que Sa Majesté est folle de musique et ne pardonnerait pas une pareille violation du droit des cantatrices ? Le roi veut que tous les chanteurs de son royaume puissent crier, s’il leur plaît, à tue-tête du matin au soir ;… malheur à qui essaierait de mettre une gamme ou une seule note à l’index !

Le prince sortit désespéré du palais, et rentra dans le sien en méditant quelque vengeance contre son harmonieuse ennemie. Mais, après avoir combiné plusieurs plans, il reconnut que le meilleur parti à prendre était celui de la résignation. En effet, comment atteindre ces notes aériennes ? Comment étouffer ces sons voisins du ciel qui s’échappaient tous les matins dans le limpide azur ?

— Eh ! quoi ! disait le prince d’un ton accablé, je puis tout ce que je veux dans le royaume de Naples ; après le roi, je jouis d’une puissance, pour ainsi dire, illimitée. Chacun m’honore, me respecte, s’incline devant moi quand je traverse les rues de Chiaja ; et je n’ai pas même le pouvoir de mettre une sourdine dans le gosier d’une choriste que le hasard a logée au-dessus de moi !… Une idée me vient,