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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/117

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septième volume 1940-1950

Melançon a passé sa vie au service des Anglo-Canadiens. Il s’est facilement découvert la vocation d’un propagandiste de guerre. Et il s’est bien promis de me convertir à sa foi militante. Je dois parler à la jeunesse, m’assure-t-il avec aplomb, et le plus tôt possible. Il faut l’avertir de ses impérieux devoirs. La liberté, l’avenir de la France, du monde, se joue en Europe. La jeunesse a droit de le savoir. Il faut empêcher qu’un jour elle ne se retourne vers ses aînés et leur jette au visage ce cinglant reproche : « Tel était le grand enjeu de la guerre ! Et vous autres, vous ne nous l’avez pas dit ! » Je résume aussi fidèlement que possible le laïus de M. Melançon débité avec moins d’aisance que profonde conviction. Je laisse dire et l’on devine à peu près ma réponse. C’est la première fois que je subis pareil assaut. À cette pressante, impérieuse invitation, je réponds carrément : non ! « Je ne proférerai certainement pas une parole, pas une parole, vous m’entendez, pour envoyer notre jeunesse au secours d’un Empire croulant. Qui donc, du reste, si ce n’est lui, avec tant d’autres naïfs, par trop intéressés, a bêtement relevé l’Allemagne de son désastre de la première Guerre ? Et ce, d’ailleurs, aux dépens de la France et contre son gré. La liberté ! Je convierais plutôt mes compatriotes à la défendre en leur propre pays où partout leurs droits sont indignement violés… » Et je continue sur ce ton. Piqué au vif, je me sens en verve. Au reste, la mine déconcertée, déconfite de mon interlocuteur, me fouette. Mais il se ressaisit. Le débat devient un moment fort orageux. Je dois avertir ce M. Melançon qu’il s’est sûrement trompé d’adresse, et que si vraiment il s’est flatté d’inscrire mon nom sur son carnet de chasse, il n’a pas encore passé l’âge des illusions. Quant à mon ami Marion, il n’y comprend rien. Il se sent gêné, on ne peut plus mal à l’aise. Il n’a pas prévu pareille tempête. Il me dira quelque temps plus tard, aux Archives d’Ottawa où il occupait le poste de chef de la traduction : « Je ne me suis jamais senti si humilié que cet après-midi-là. » M. Melançon, revenu de sa stupéfaction, revient à la charge. Alors, je lui fais observer qu’il n’appartient pas à un simple prêtre, un sans-grade, d’aller jeter à la jeunesse une consigne en une affaire aussi grave. Il me rétorque : « Mgr Gauthier va parler ; et s’il parle, parlerez-vous ? » Je réponds : « Si Mgr Gauthier parle, ce dont je doute fort, je parlerai peut-être, mais je ne vous dis point quel discours je fe-