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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/120

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mes mémoires

à un fait bien accrédité, attribue son entrée dans le ministère à l’espoir de faire accepter plus facilement à la province de Québec, la conscription pour outre-mer. Mesure extrême sur laquelle, j’en reste persuadé, les Canadiens français ne céderont point. Je ne crois pas, au surplus, que Monsieur Laflèche, brave homme, je l’admets, soit de personnalité assez dynamique, assez vigoureuse, pour jouer, dans le cabinet King, à l’heure actuelle, un rôle éminent, ni même un rôle modérateur. D’après tout ce que l’on me dit et tout ce que je sais de l’homme, il n’est pas de taille ni d’humeur à donner, quand il le faut, le coup de poing sur la table. Dans ces conditions, j’estime, avec bien d’autres, qu’en ces heures difficiles, une représentation canadienne-française, dans le cabinet d’Ottawa, loin d’être une force pour nous, n’ajoute qu’à notre faiblesse. Notre véritable force, ce serait, pour les nôtres, de constituer un bloc à l’extérieur, un bloc solide qui ne pourrait manquer d’agir sur la politique de guerre de M. King. On peut bien se vanter, à Ottawa, de se passer du Québec. On ne s’en passe pas si facilement. Un mauvais ministre dans un cabinet, c’est comme un mauvais curé dans une paroisse. Mieux vaut se passer de curé que d’y laisser un mauvais sujet. »

Le cher Père écoute mon petit discours, un peu déconfit. Je me permets, du reste, de lui glisser un conseil, à savoir : dans les présentes circonstances, les ecclésiastiques feraient acte de sagesse en se tenant prudemment à l’écart de toutes ces combinaisons politiques. Une indiscrétion, une fausse démarche, appuyai-je, aurait tôt fait de déchaîner, surtout dans les milieux de jeunesse, un mouvement anticlérical. Et là-dessus je lui rapporte un propos d’André Laurendeau tenu devant moi, en ces tout derniers jours : « Nous sommes prêts à nous battre jusqu’au coton pour empêcher la conscription des clercs ; mais si les évêques prétendent nous troquer, nous les jeunes laïcs, contre les clercs, ce sera une autre affaire. » Le Père n’insista point.