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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/155

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septième volume 1940-1950
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à tant d’égards prolifique, a peu émigré, ou du moins, peu projeté, hors de soi, sur d’autres points du monde, de vraies images de soi-même, d’authentiques jeunes Frances, issues de son sang, de sa culture, de son histoire. Perspective où la Nouvelle-France nous apparaît comme une entreprise coloniale d’exception. Après le Portugal, après l’Espagne, en même temps que l’Angleterre, la France a tenté ici, en Amérique du Nord, non seulement de prendre, comme les autres, sa part des nouveaux mondes, mais d’y graver son empreinte ; elle a voulu y “provigner” une Nouvelle France, comme on disait alors, en y exportant sa foi, son droit, sa langue, sa culture, ses institutions, mais surtout sa race. Elle n’a pas voulu que le Canada fût seulement une colonie, sa colonie ; elle a voulu qu’il fût une colonie française, fondée, peuplée par des gens de sa terre, par des fils de France, par des “naturels Français catholiques”, avait décidé Richelieu. Et si vous y faites attention, cette œuvre coloniale ou ce peuplement à la française, la France ne l’a tenté qu’une fois, sur un seul point du monde : en Amérique du Nord, sur les bords du Saint-Laurent, autour des grands lacs, sur les chemins de la Louisiane. Un jour viendra, ce sera après 1760, où l’on déplorera, à Versailles, que les colonies de la France équinoxiale soient trop peu peuplées de Français ou d’hommes blancs. Et l’on attribuera à cette indigence l’esprit révolutionnaire de ces colonies. Que la France ait colonisé le Canada à l’apogée de sa grandeur en Europe, à son point de maturité comme nation, laisse ensuite à penser de quelle empreinte vigoureuse elle a pu marquer cette portion du continent. On n’est pas pour rien fils de la grande France du 17e siècle. “Vous êtes hors de France, me disait l’autre jour un jeune journaliste de Paris, le groupe français le plus français et le plus considérable.” Le Canada, disait en 1926 le futur cardinal Baudrillart, du haut de la chaire de Notre-Dame de Paris, est ce que la France a projeté de meilleur hors de soi. »

Un troisième aspect m’apparaissait enfin de cette histoire : celui d’après la conquête anglaise. « Une poignée de 65,000 âmes, de quelque chose comme 10,000 familles, qui se jure de subsister dans son être ethnique et culturel, en face de l’Améri-