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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/175

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mes mémoires

Il accueillit mon offre par un sourire. Le jeune étudiant, très intelligent et déjà fort cultivé, me paraissait peut-être d’esprit subtil, même trop subtil. L’austère discipline historique, me disais-je, aura tôt fait de corriger ce penchant. La subtilité, au surplus, peut servir à quelque chose dans l’élucidation des problèmes complexes de la science historique. Le style de l’écrivain d’histoire ne souffre guère le raffinement. Mais il n’est pas si mal que le raffinement soit dans l’esprit et conduise à l’art des nuances. André Laurendeau, alors de santé frêle, mis au courant des terribles exigences du métier d’historien, exigences qui, en mon cas, m’avaient fortement accablé, me déclare net un jour : « L’histoire m’a séduit ; le métier est beau ; il serait, je le sens, trop dur pour ma santé. » André allait, du reste, au lendemain de son mariage, partir pour Paris, y étudier les sciences sociales et politiques.

Trois ou quatre ans plus tard, je me retourne vers un autre de mes étudiants : Jacques Le Duc. D’après une de ses lettres, ce serait en septembre 1936 que je l’aurais rencontré, tout à fait par hasard. Il m’arrive alors assez souvent, d’aller faire ma promenade du dimanche du côté du chemin Sainte-Catherine et d’arrêter, en passant, à l’église Saint-Viateur d’Outremont. Un de ces dimanches, vers les quatre ou cinq heures du soir, je rencontre, sur le perron de l’église, à peu près désert, un beau et grand jeune homme, d’allure et de figure ouvertes. Me connaît-il ? Il vient à moi. Nous causons. Il sort du noviciat des Dominicains où il n’a pu s’acclimater. Il ne sait encore que faire de sa vie. Je lui dis : « Pourquoi ne pas tenter un essai à notre Faculté des lettres ? » Ma proposition lui sourit. Étudiant régulier, il suit tous les cours de la Faculté, y compris ceux d’histoire du Canada. Après un an, il semble qu’il soit gagné à l’Histoire. Dès le 14 mai 1937 il m’écrit : « Vous vous proposiez… de me prêter quelques-uns de vos manuels de méthodologie… Il ne dépendra pas de moi que nous ne puissions réaliser mes projets d’initiation historique… Dans l’espoir que tout s’arrangera le plus tôt possible, je demeure toujours à votre disposition ; et plus que jamais je songe à l’Histoire du Canada. » Trois mois plus tard, une autre lettre aussi encourageante : « Tranquillement, je lis vos bouquins de méthodologie. De plus en plus, ils m’intéressent et me