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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/199

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mes mémoires

salaire ou sans fortune personnelle — et de fortune l’on n’en possède guère quand, pendant les quinze ans de sa vie antérieure, l’on a enseigné dans un collège au taux de $40, puis de $100 par année. Je ne me rappelle pas sans un peu d’amusement, qu’à des écoliers tels que Maxime Raymond et Jules Fournier, j’ai enseigné, encore jeune séminariste, le grec, le latin, la littérature, et voire un peu de philosophie à $40 par année. S’il vivait encore, je croirais entendre Jules Fournier me demander, avec son petit rire narquois : « À parler franc, M. l’abbé, est-ce que ça valait davantage ? » Mais il reste qu’à ce salaire à tout le moins minimum, l’apprenti historien que j’étais a dû poursuivre ses recherches, seul, sans les services d’une dactylo, encore moins d’un secrétaire. Jusqu’en 1937, soit pendant vingt-deux ans de ma carrière d’historien, je n’ai pu rapporter d’Ottawa ou d’ailleurs que ce que j’avais le temps de copier ou de résumer à la plume, ou ce que je pouvais obtenir par faveur spéciale des archivistes qui sont quelquefois venus à mon secours. En 1922, je suis allé passer l’année à Paris et à Londres, poursuivre mes recherches. Mais j’y suis allé à mes frais et sans autre moyen de transcription que ceux que je viens de vous indiquer.

Enfin en 1937 — dans l’intervalle, après des incidents assez orageux dont je vous fais encore grâce, l’on m’avait consenti un rajustement de salaire — la Providence m’a fait don d’une secrétaire, aussi diligente à son travail que condescendante à mon caractère, et qui, pour une rétribution toujours inférieure à celle d’une femme de ménage, est restée la fidèle et dévouée compagne de mes travaux.

Malheureusement nous n’en étions pas encore à l’âge du film, âge que nous n’avons connu qu’en ces toutes dernières années. Avec quelle joie cependant nous contemplions et soupesions notre butin, quand après y avoir sacrifié nos vacances de Noël, de Pâques, et six semaines des vacances d’été, nous revenions d’Ottawa avec 1800, 2000, 2500 pages de documents transcrits au dactylo, sans compter les petites fiches ou notes que je continuais de recueillir à la plume. Mais 2,500 pages, qu’était-ce à côté des 15,000 ou 20,000 pages que, dans le même espace de temps, les heureux chercheurs d’aujourd’hui peuvent accumuler ?

Dans le même temps, l’historien de 1915 avait à se pourvoir de ce second instrument de travail que j’ai appelé une bibliothèque. L’histoire a pour source première et principale