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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/211

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mes mémoires

dans la liturgie, dans les offices religieux, dans l’usage des sacrements, dans tout ce que l’on appelle, avec plus ou moins de propriété, la pratique religieuse, bien loin de discerner des moyens pour transmission ou accroissement de vie spirituelle, le catholique n’a voulu voir trop souvent qu’un mécanisme tournant dans le vide, une routine bonne à garder pour s’accorder au milieu, une prime d’assurance contre les terribles aléas de la mort.

Ici encore, il resterait à expliquer, par d’autres raisons, et si tôt après le collège ou le couvent, la rupture partielle et souvent plus que partielle, avec la pratique religieuse ? Il faudrait rendre raison de ces propos désolants d’anciens collégiens ou collégiennes qui, pour justifier le rationnement spirituel auquel ils se laissent aller, invoquent l’indigeste gavage de messes et de prières qu’ils auraient subi dans leur jeunesse ? Nous verrons une autre énigme et tout aussi déconcertante, dans la funeste coupure entre les actes proprement dits de la pratique religieuse et le reste de l’existence. Combien rares aujourd’hui ces vies chrétiennes organiques où tout s’inspire du même esprit, de la même fin, où les moindres actes, les plus profanes en apparence, prennent une valeur surnaturelle, et s’enrichissent par la part d’influence de la vie de prière sur la vie d’action et de la vie d’action sur la vie de prière. Au lieu de cette féconde unité de la vie humaine, l’habitude s’établit d’un dualisme désastreux où la zone neutre de l’existence occupe le plus de place.

Ces attitudes religieuses, n’eût-ce pas été miracle de ne les point transporter dans notre vie sociale ? Hélas ! le grand scandale de notre prochaine histoire, ce sera bien que nos classes ouvrières, c’est-à-dire, à l’heure actuelle, presque les deux-tiers de la nation, aient pu se laisser embrigader dans un syndicalisme à peu près étranger à leur idéal religieux. Et le malheur, ce n’est pas seulement que notre prolétariat en arrive à constituer ainsi, dans la vie nationale, une structure d’une singulière faiblesse, extrêmement compromettante pour tout l’édifice ; c’est que, pour la conquête de ses droits et pour le redressement de sa misère, l’ouvrier canadien-français ne fasse confiance ni à sa foi, ni à la sociologie catholique. Et le scandale s’aggrave de cette autre tristesse qu’il aura pu commettre cette erreur, sans s’en rendre compte trop souvent, sans avoir été prévenu ou averti par les classes dirigeantes qui avaient charge de l’éclairer. Ces classes dirigeantes lui donnaient d’ailleurs le mauvais exemple, s’enrôlant elles-mêmes, avec une légèreté morbide, dans des