Aller au contenu

Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
mes mémoires

en train de faire le brossage… Vous avez voulu vous astreindre au labeur d’un maître qui corrige ses copies. Je vous en dois une très vive reconnaissance et qui l’emporte sur mon humiliation… »

En 1930 un événement de conséquence se produit en sa vie ; il devient évêque de Gravelbourg, en Saskatchewan. Je tiens d’une confidence très intime, que cette nomination le troubla gravement. Autant qu’il peut, il s’y refuse. Il dit même au Délégué apostolique : « Vous savez que je suis nationaliste. Avez-vous lu tout ce que j’ai écrit ? » Le Délégué lui répond : « Nous savons tout cela. » Une lettre de lui, du 12 juillet 1930, me confie les angoisses par lesquelles il est passé : « Ce qu’on dit de moi m’épouvante ; en effet, on voudrait me mettre dans la lignée des caractères de la trempe des Taché et des Langevin, et l’évidence est là qui me crève les yeux… Tout de même, maintenant que le Ciel a marqué son dessein, et malgré les inquiétudes et les combats des huit jours qui ont précédé la nouvelle officielle, je vous avoue que je me sens déterminé et courageux et que je veux essayer de faire mon devoir, devoir épiscopal, devoir catholique, sans abdication ni amoindrissement tout de même de ce qui m’a été cher et auquel je me suis dépensé. J’ai la consolation de n’avoir point demandé pardon du passé et de savoir que tout ce que j’ai fait et écrit — même dans L’Action canadienne-française — a été lu et jugé. On m’a pris tel quel, ce qui veut peut-être dire qu’on peut encore penser dans notre pays sans être nécessairement écarté de ceux qui font l’avenir… Votre amitié n’aura certes pas été étrangère au semblant de renom qui m’a été fait, et à certaines audaces d’idées au bout de ma plume. Merci. » Malgré sa nomination à l’évêché de Gravelbourg, il avait accepté de prêcher la retraite d’été aux prêtres de Montréal. Il ne voulut point se déprendre de cet engagement. Nous eûmes, tous deux, au cours de la retraite, une assez longue conversation. Je lui dis entre autres choses : « Je me réjouis de votre élévation à l’épiscopat. Vous ne resterez pas longtemps là-bas. [Je ne croyais pas être si bon prophète.] Vous reviendrez dans l’Est. Et pourtant dans la joie de vous voir élevé à la haute dignité, il entre chez moi un peu de tristesse. »

— Vraiment ? me dit-il. Et pourquoi ?