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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/249

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mes mémoires

du baccalauréat qui avaient lieu, à cette époque, au Séminaire de Québec ; puis avaient suivi quelques rencontres à l’occasion parfois de congrès de l’Enseignement secondaire. En Europe, il s’était lié avec un de mes grands amis, l’abbé Antonio Hébert qui souvent me parlait de l’abbé Courchesne. On me le disait fin, extrêmement fin, d’un esprit original, distingué. Dès le premier abord, nous en étions déjà à l’amitié. L’abbé était plutôt grand, de taille mince. Au front, une mèche de cheveux noirs, des yeux étincelants, pleins d’une délicieuse malice, ornaient une belle tête, un chef à tenter un peintre ou un sculpteur, disait alors un directeur de l’École des Beaux-Arts. Avec tout cela, une simplicité, une bonhomie à faire crouler tous les ponts, toutes les distances, un langage d’esprit brillant, d’un tour pittoresque, débordant d’humour. Que de mots l’on pourrait rapporter de lui, dont quelques-uns ont même fait fortune : mots fins, rarement cruels, même s’il ne s’y refusait point. Il était de la région de Nicolet, terre de plaines, de calme, de sérénité, pays quelque peu isolé, où les hommes peuvent croître dans une savoureuse originalité. Pour expliquer sa lenteur à comprendre certaines choses — lenteur moins que réelle — l’ami Courchesne aimait dire : « Tu sais, moi, je suis né au bord du Chenal Tardif. » Un jour que, sur le ton espiègle, il avait fait la leçon à un curé franco-américain irlandais, mais curé d’une paroisse franco-américaine et qui traitait ses gens un peu à l’irlandaise, il m’écrivait : « Je remercie le Bon Dieu de m’avoir donné un petit air bête, qui me permet de dire un tas de choses pendables sans paraître y toucher. » Il prit un jour, sans doute, ce petit « air bête » pour administrer une opportune leçon au délégué apostolique, Mgr Antoniutti. Le Délégué aimait beaucoup l’évêque de Rimouski. L’évêché de la petite ville lointaine lui servait de repos et d’alibi. Un jour que Mgr Courchesne avait promené Son Excellence dans ses paroisses de colonisation, lui avait montré son monde se cramponnant à la terre, dans des huttes grandes comme la main, et aussi des curés aux grosses bottes boueuses, la soutane tachée de chaux et de plâtre, en train de se bâtir une « formance de chapelle », le Délégué, ému par ce spectacle, s’était lancé dans un éloge lyrique — éloge sincère, du reste — de ces braves gens et des Canadiens français en général qui avaient fait ce grand pays du Québec et son étonnante Église… !