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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/25

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septième volume 1940-1950

nir pour un peuple-serf, ce servage fût-il maquillé des couleurs les plus flatteuses et apparemment les plus nobles.

Non moins affirmatif serai-je sur la revision de notre politique intérieure. Pour ce coup, je ne jurerais point qu’en mes dires catégoriques je n’aie beaucoup pensé à la portion de la jeunesse canadienne-française qui serait présente à ce congrès. En ces réunions mixtes, — l’histoire ne me l’avait-elle pas appris ? — nos chers compatriotes, vieux ou jeunes, se portent si spontanément aux tolérances généreuses, pleins de foi dans les embrassades officielles, plus naïfs que le coq de La Fontaine aux prises avec le renard. Après un bref rappel des circonstances où était née la Confédération, formation politique où l’expédient, les nécessités du temps avaient joué plus que la spontanéité et plus que le rapprochement des esprits, j’ajoutais ces propos dénués de toute suavité :

Dans notre vie commune, depuis 1867, où trouver la crise nationale qui nous aurait jetés les uns vers les autres, nous élevant, du même coup, au noble sentiment de la patrie commune ? Nos crises nationales ont été des crises intérieures, des crises diviseuses. Au lieu de nous jeter les uns vers les autres, elles nous ont jetés les uns contre les autres. Cet état de choses… exige une révolution profonde… Ni sur le chapitre de l’autonomie québécoise, ni sur les droits de leur culture, il ne peut être question, pour les Canadiens français, de consentir des sacrifices qui se solderaient, en définitive, par un appauvrissement de leur vie, sans la moindre compensation pour le reste du Canada.

Au surplus, croyais-je en ce temps-là, et ai-je jamais cru à une entente parfaite des deux races au Canada, je veux dire une entente fondée sur une égalité pratique, absolue, des droits des deux groupes et des deux cultures ; et d’abord sur un consentement de la majorité anglo-saxonne à cette intégrale égalité ? Par générosité humaine et chrétienne, j’ai, certes, écrit et parlé, à cette époque, comme si je croyais cette égalité possible. Mais au fond de moi-même, il me faut bien l’avouer, j’y ai toujours vu une désolante utopie. Rapprochement humain en quelque mesure possible entre intellectuels, entre quelques hommes épris d’humanisme et capables d’une certaine largeur de vision. Rapprochement chimérique entre les masses profondes de deux races trop divisées par tout