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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/255

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septième volume 1940-1950

du Centre et à ceux de l’Est. Ses lettres sur la situation aux Illinois ont valeur de document. En 1919 il revient au pays. Son évêque le nomme principal de l’École normale de Nicolet. Il avait déjà, depuis quelque temps, repris le travail. De Bourbonnais ou de Manchester, il m’envoie des articles que je lui arrache pour L’Action française qui vient de voir le jour. Il en signera quelques-uns du pseudonyme de « François Hertel » ; car il fut le premier à l’utiliser. Je note l’un de ses mots, dans une lettre où il m’annonce l’envoi d’un article : « Mais que c’est donc difficile d’écrire du français ! »

Et voici que tout à coup, en 1928, on le fait évêque de Rimouski. Depuis longtemps je demande au Bon Dieu de nous accorder de grands évêques, d’avoir pitié de notre petite Église et de lui donner des chefs. Beaucoup de bonnes âmes ont dû prier et mieux que moi, puisqu’en deux ans nous obtiendrons Mgr Courchesne et Mgr Rodrigue Villeneuve. L’épiscopat a pris par surprise mon ami de Nicolet. Il s’en va trop loin. Il a peur de se sentir isolé. Avant même son sacre, l’une de ses lettres trahit son inquiétude :

Garde-moi ta sympathie et prie pour moi. Puis-je espérer que tu viendras me voir à Rimouski ? Ce n’est tout de même pas en Pologne. Et j’aurai bien besoin de parler et d’entendre parler.

Une peine ne le quitte pas : celle de renoncer à son rôle d’enseignant. « Il faut que je réfléchisse, m’écrit-il encore, pour me rendre compte que c’est là une joie d’un passé qui ne reviendra plus. J’ai promis de ne pas me lamenter et j’ai décidé qu’on ne me verrait pas pleurer. »

Quelle sorte d’évêque deviendra-t-il ? Un évêque quelque peu original. Il ne se départira ni de sa bonhomie, ni de ses bons mots. Il restera simple, accueillant. Ses amis le retrouveront tel qu’ils l’ont connu ; la mitre ne lui a pas exalté le cerveau. À Rimouski où il pouvait paraître étranger, quelques-uns eurent de la peine à s’accoutumer à ses manières. Le nouvel évêque, homme sensible, devina, en certains quartiers, une sourde opposition. Il en souffrit longtemps. Il entretenait involontairement cet état d’esprit par des mots caustiques dont il n’était pas toujours assez le maître. On le trouvait impénétrable ; on ne parvenait pas