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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/279

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septième volume 1940-1950

sait où aller et qui cherche des conseils, va vers vous ; les laïcs de même. Tous vous estiment et vous aiment beaucoup. Vous faites grand bien, on me le dit et je le sais. En raison même des circonstances, vous êtes encore plus nécessaire à votre poste… D’ailleurs, si vous partiez, en quoi votre démission arrangerait-elle les choses ? Dans le gros public où l’on ignore ce qui se passe, on vous donnerait tort. Vous donneriez raison à ceux-là qui vous ont toujours tenu à l’écart : « Rien d’étonnant, dira-t-on, qu’on n’ait pas tiré parti de cet homme ; c’est un malcommode qui ne peut collaborer avec personne. » — C’est un de ces soirs, dis-je, où nous étions seuls, que Mgr Perrier s’arrêta net et, la mine attristée, consternée, me débita lentement, presque à voix basse, ces petites phrases : « J’ai déjà vu des hommes la tête pleine d’idées croches ; je n’avais pas encore vu toutes les idées croches dans la tête du même homme. » Parole que je pris alors pour une boutade, pour l’explosion d’un homme exaspéré de chagrins et de déceptions. Plus tard, le drame fini, ces paroles me revinrent en mémoire ; je ne les trouvai plus si exorbitantes.

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Esprit aventureux, j’eus l’occasion, maintes fois, de m’en rendre compte. Un jour, c’est pendant une de ses retraites sacerdotales, dans une conférence à son clergé. Je ne sais trop comment ni pourquoi, sans la moindre opportunité, il entreprend tout à coup de nous présenter une apologie de la CCF, parti socialiste de l’Ouest canadien. Intention visible : nous rendre le parti sympathique. « Ce sont des socialistes, nous dit-il, non des doctrinaires à la mode française. Ils ne partent point de principes pour les enclore de force dans les faits. Ils partent des faits et, malgré eux, ils remontent vers des principes qui s’apparentent étrangement à ceux des grandes encycliques pontificales sur les problèmes sociaux. » Je résume la thèse de l’Archevêque. Ses propos, assez inattendus, ne laissent point de causer un certain émoi. Que venait faire, en une retraite pastorale, cette apologie de la CCF ? On se le demanda. À la sortie, des curés m’entourent, ne cachent point leur étonnement. L’un d’eux me dit : « Nos évêques étaient autrefois d’invétérés conservateurs ; beaucoup, depuis lors, ont glissé vers le libéralisme politique ; seraient-ils en train de se