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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/341

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mes mémoires

Et le remède ? m’interrogeait mon jeune interlocuteur. « Vous ne nous avez pas habitués à croire à la partie définitivement perdue. » Le remède, répondais-je : « une cure d’âme pour notre peuple. Il a perdu foi en sa culture. Son mal est d’abord d’ordre psychologique et moral. » Il faut lui ôter de l’esprit que, dans le Québec, on ne gagne pas sa vie avec du français. Ce qu’il nous faut, concluais-je, sans ambages, c’est tout net :

un renversement de la situation économique au Québec. Remède radical, je le veux bien, mais remède nécessaire, irremplaçable. De la sujétion économique vient presque tout le mal. D’un retournement peut venir la guérison. Il y faudra du temps, de la patience et même du doigté. Cela, non plus, je ne l’ignore.

Et je prêchais la croisade de la « seconde indépendance » :

Il faudra créer les cadres de la libération, nous former des techniciens, des ingénieurs de grande classe, des chefs de grande entreprise ; il y faudra un rassemblement de capitaux. Mais à l’exemple des jeunes peuples de l’Amérique latine et de l’Afrique qui déjà s’y préparent et s’y donnent, ayons le courage d’entreprendre le labeur de la seconde indépendance. Que, dès maintenant, en l’esprit de notre peuple trop prostré, on sache allumer l’espoir, l’ambition virile de rentrer en possession de son avoir matériel, de redevenir maître chez soi. Qu’on l’associe, même financièrement, par participation individuelle et collective, à sa propre libération. Et le peuple retrouvera la foi qu’il a perdue. Dans les évolutions de l’histoire, les grands événements ne sont pas seuls à compter. Comptent aussi, pour leur part, et pour le déclenchement initial, les idées-forces.

Pour boucler cette entrevue, venait cette finale :

Enfin, pour la cure d’âme, j’indique un autre remède, pas le moindre et non moins nécessaire. Un peuple ne défend pas et ne garde pas sa langue pour le seul charme ou le seul orgueil de la parler. Il la garde parce qu’elle est quelque chose de son âme et parce qu’elle est porteuse de legs et d’espoirs sacrés. L’effort pour la conservation de la langue et son enrichissement doit donc mener à quelque fin, déboucher quelque part. Aussi ne faut-il craindre d’exalter l’esprit de notre peuple par l’espoir de la petite civilisation qu’il lui sera possible de créer en Amérique. Qu’on se rassure, elle ne sera cette civilisation, ni celle