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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/351

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mes mémoires

Connaissez-vous beaucoup de peuples qui ne soient nationalistes, qui ne tiennent pas à leur culture, qui ne soient prêts à la défendre farouchement, qui n’aient l’ambition de l’épanouir ? Et qu’est-ce que tout cela si ce n’est du nationalisme, à quoi l’on donne le prête-nom de patriotisme ? Patriotisme, si l’on veut, lorsque la culture, l’être même de la nation, chance des vieux peuples et des peuples forts, n’obligent nullement aux gestes défensifs. Nationalisme, si le geste défensif s’impose. Mais cette défensive, — c’est là que l’on m’attend — jusqu’où la conduire ? Sur ce, mon avis s’énonce très ferme : jusqu’où s’étend le droit de vivre d’une nation… Nulle nation, si faible, si petite soit-elle, n’a le devoir de se sacrifier pour assurer la tranquillité ou la grandeur d’une autre. D’ailleurs, au Canada, l’avenir n’appartient pas au centralisme. Sept des dix provinces représentent de trop vastes unités géographiques, sont pourvues de trop de richesses, seront demain trop peuplées pour supporter indéfiniment un joug fédéral tracassier. » En ce cas, quelle image vous faites-vous, me demandent et le Star de Montréal et le Winnipeg Tribune, de la future Confédération canadienne ? L’image d’États associés et selon le mode et pour les raisons que j’ai développés dans Chemins de l’avenir.

On pense bien qu’en ces entrevues, le mot, l’énigme d’alors, la « Révolution tranquille », trouva place. Comme elle intriguait l’opinion anglo-canadienne ! En étais-je de cette révolution ? Et qu’y fallait-il voir ? Je me réserve d’en parler plus explicitement ailleurs. Mais on devine que je n’ose méconnaître l’irréversibilité de ce mouvement, de cette prise de conscience sans pareille de la nation canadienne-française. Volontiers je cite la réponse que me faisait récemment René Lévesque : « Vous autres, politiciens, lui disais-je, réussirez-vous à tuer ce mouvement, ce réveil comme vous en avez tué tant d’autres ? » — « Jamais ! m’avait répondu, d’un ton brusque, le ministre Lévesque. Qui que ce soit qui gouverne à Québec — c’était avant juin 1965 — se verra forcé de faire ce que nous nous efforçons de faire. » Vous espérez donc survivre ? me demandaient enfin et le Star et la Gazette. Assurément, affirmais-je. Et mon espoir, je le fonde sur la conversion presque miraculeuse de nos politiciens et de la plupart de nos hommes d’affaires à une politique nationale ou