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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/361

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mes mémoires

L’État français

Il est un point néanmoins d’où mes convictions n’ont jamais dévié, et c’est dans le caractère de l’État du Québec : caractère de naissance, dirais-je, imprimé par ce qu’il y a de plus fort : la vie, l’histoire, l’essence même d’une nation. Caractère français par conséquent, irrévocablement français. Cette vérité ou certitude, je m’étonnais, lors de mon entrevue avec André Laurendeau en 1962, de la découvrir dans l’un de mes écrits de 1920, au début de ma carrière d’historien. À cette date, en effet, dans la conclusion de l’enquête de L’Action française sur notre problème économique, j’écrivais déjà : « Allons jusqu’au bout de notre pensée : le premier élément moral d’une réaction appropriée et par conséquent la première condition d’un puissant effort économique, ne serait-ce pas, en définitive, de nous entendre, une fois pour toutes, sur le caractère politique et national du Québec ? Aux administrateurs de notre domaine pendant ces derniers trente ans, on a reproché une incapacité et une imprévoyance parfois criminelles… Mis à l’enchère publique, tout comme les plaines de l’Ouest canadien, notre territoire fut vendu aux plus hauts prenants, sans le moindre souci des droits nationaux. Le domaine national, le capital d’exploitation n’ont jamais eu, pour nos gouvernants, de nationalité, pour cette raison qu’en leur esprit, l’État n’en avait point. Eh bien, nous disons que cette incroyable aberration doit prendre fin. Il appartiendra à la jeune génération, si elle veut atteindre aux réalisations puissantes, de faire admettre que l’être ethnique de l’État québecois est depuis longtemps irrévocablement fixé. Une histoire déjà longue de trois siècles, la possession presque entière du sol par une race déterminée ; sur ce sol, l’empreinte profonde de cette même race, empreinte de ses mœurs, de ses institutions originales ; un statut juridique et national inscrit, amplifié, en toutes les constitutions politiques depuis 1774, tout cet ensemble a fait du Québec un État français qu’il faut reconnaître en théorie comme en pratique. Cette vérité suprême, il faut la replacer en haut pour qu’elle gouverne chez nous l’ordre économique, comme on admet spontanément qu’elle doive gouverner les autres fonctions de notre vie… » (Directives, 1re édition, p. 50-51.)