Aller au contenu

Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
46
mes mémoires

propos audacieux. On me reprochait d’avoir prononcé un discours politique au cours d’une Semaine sociale. Le Globe and Mail de Toronto (26 septembre 1945) prit aussi la mouche. J’aurais exigé la sécession du Canada du Commonwealth, condition première de l’indépendance canadienne. On évoquait, il va sans dire, le spectre du séparatisme. Le Globe and Mail soutenait que ces extrémistes de séparatistes se seraient bien gardés de tenir des propos comme les miens, alors que la Grande-Bretagne se battait toute seule, pour le salut des nations libres. Et le journal torontois opposait mes paroles à celles que le Cardinal Villeneuve avait prononcées en avril 1941, devant l’Empire Club de la Ville-Reine. Son Éminence, alors ressaisi par la passion loyaliste de l’ancien clergé, avait fait sa profession de foi au roi de Grande-Bretagne et à l’Empire :

Profondément dévoués au bonheur et au bien-être de nos compatriotes ainsi qu’au bien de notre pays, travaillons tous ensemble, chacun dans sa sphère, au progrès de l’unité nationale et que nos efforts s’accompagnent d’une loyauté profonde envers notre Souverain, le Roi George VI, et envers ce vaste Empire dont nous sommes fiers et heureux de faire partie.

L’alarme provoquée par mon discours s’étendit encore plus loin. Elle atteignit la délégation apostolique, toujours attentive aux revendications irlandaises ou anglo-canadiennes. Le président des Semaines sociales, le Père Papin Archambault, reçut l’ordre sévère de soumettre désormais à une censure préalable toute conférence ou discours destinés aux Semaines sociales. Pour ma part, j’attendais quelque admonestation de mon archevêque ou du délégué apostolique. Rien ne vint. Mais quel sort allait-on réserver à ma conférence ? Oserait-on la publier dans le volume de la Semaine de 1945 ? Soumise à un censeur, la conférence parut, et dans le volume de la Semaine sociale, et sans le changement d’un iota. En quelques coins du Canada français, la liberté n’était pas morte.

Pourquoi nous sommes divisés

Étais-je mû, en ce temps-là, par quelque goût des sujets périlleux ? De mon propre mouvement, je crois bien, sans y être invité, ni poussé par qui que ce soit, j’entrepris de vider, si possible, l’un des sujets les plus controversés dans le Canada de l’époque : la raison de fond de la trop fréquente mésentente entre les