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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/62

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mes mémoires
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pour l’humanité un principe inépuisable de renaissances morales” ? Petit peuple, l’un des plus petits des Amériques, chargé pourtant d’une mission qui ferait plier un géant, attachons-nous à notre foi, non par simple pragmatisme, comme feraient des sociologues ou des historiens agnostiques, n’y voyant qu’une force sociale, une tradition nationale entre bien d’autres, d’une essence supérieure tout au plus, mais trop emmêlée à notre vie pour l’en arracher sans grave dérangement intérieur ; attachons-nous à notre catholicisme pour ce qu’il est, pour sa transcendance, comme à la loi intérieure des meilleures civilisations, comme au levain par quoi les petits peuples deviennent grands. »

Faut-il continuer cette analyse ? Rien de plus oiseux que de se recopier soi-même. Mais, le dirai-je encore une fois, je m’efforce ici à reconstruire les pensées d’une époque, l’effort tenté pour le réveil, la régénération d’un petit peuple. Allons-y donc d’une couple d’autres citations. J’en étais venu aux responsables de la mission, à ceux qui la devaient assumer. L’élite, sans doute, y était astreinte par les plus hauts engagements. Fallait-il négliger le peuple, ne lui rien demander ? Tel n’était pas mon avis. Et j’en appelais à quelques expériences personnelles :

Éveiller le peuple au sentiment de sa mission, le rattacher à la ligne de son histoire, celui qui vous parle a trop souvent abordé des auditoires populaires pour douter de la possibilité de la tâche. Je n’oublierai jamais cette distribution de prix de fin d’année scolaire, dans une petite salle de campagne. Le curé m’invita à dire un mot puisque c’était un soir de Saint-Jean-Baptiste. Une carte de l’Amérique du Nord était là appendue au tableau noir. Avec des mots que pussent comprendre ces campagnards, j’entrepris de leur raconter les hauts faits et gestes de ces avironneurs, de ces voyageurs, de ces durs à cuire, de ces entêtés idéalistes, qui menèrent avec un entrain endiablé ce que nous appelons, en histoire, la construction de l’Empire français dans le Nouveau Monde. Je leur rappelai qu’il y eut une époque où les Français, leurs pères, prétendaient bien que c’était à eux l’Amérique, toute l’Amérique, et à personne d’autre. Je campai devant leurs yeux quelques-uns de ces gars éblouissants, marcheurs aux bottes de sept lieues, gonfleurs de biceps et effroyables consommateurs d’avirons, qui partaient pour la conquête d’un empire avec un canot, un fusil, un sac, un tout petit sac de nourriture, mais avec du cœur et de l’ambition à faire