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Page:Groulx - Mes mémoires tome IV, 1974.djvu/73

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septième volume 1940-1950

pent du présent et de l’avenir des Canadiens français, entretiennent les mêmes inquiétudes et partagent en définitive les mêmes sentiments. En peut-il être autrement ? Quand ces hommes observent la misère trop générale de notre petit peuple, son effroyable dégringolade, depuis cinquante ans, vers le prolétariat ; quand ils constatent, ce qui est pire, la résignation de nos gens à cette vie de serfs miséreux, cette persuasion où l’on paraît établi que notre race, sur cette terre, n’a pas été créée pour un autre lot ; quand les mêmes hommes constatent la perte de l’esprit de travail, l’admiration trop générale pour les jouisseurs paresseux, enviés, parce qu’à quarante ans, ces fortunés ont assez d’argent pour passer leur vie à ne rien faire ; quand ils observent encore l’impuissance de nos petits marchands, de nos petits entrepreneurs, à tenir tête au moindre concurrent, à l’étranger arrivé ici sans le sou… quand ils voient encore la légèreté de la jeune Canadienne française, dédaigneuse de plus en plus des fardeaux de la maternité, travaillant autant que les hommes au suicide de la race ; quand ils voient enfin le manque de caractère de trop de nos hommes publics, défendant nos droits sur les hustings, le poing levé, et, rendus au parlement, n’osant plus lever le petit doigt ; quand surtout et enfin, ils découvrent le néant de notre esprit national, l’impuissance, non seulement du petit peuple, mais de ses dirigeants, à prendre conscience de l’être historique et culturel de leur nationalité, à se fournir, pour la survivance française en Amérique, la moindre raison qui vaille, comment voulez-vous que, devant ce dénûment moral, des hommes de cœur n’en cherchent pas la cause ? Et s’ils admettent, en cette misère, la part de la famille et des mœurs publiques, comment leur refuser le droit de s’étonner que l’école, le collège, le couvent, l’université aient si peu remédié à cet état de choses ?

Je l’avoue : tableau sévère ; propos roides. L’esprit encore tout plein de la consigne tombée des lèvres du Délégué apostolique, le réformiste se livrait peut-être à un zèle de néophyte. Malgré tout, la conférence parut ne pas trop déplaire à l’auditoire, aux organisateurs de la soirée. La radio l’avait diffusée à travers toute la région ; on l’avait écoutée, paraît-il, « religieusement ». Mgr Louis Rhéaume, o.m.i., de Timmins, occupait le siège de