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LE SURVENANT

n’eussent plus porté leur valeur. Sans hâte il racla ses bottes au seuil, tout en jetant un coup d’œil à l’intérieur de la maison. Il pouvait voir une bonne partie de la pièce principale, à la fois cuisine et salle. Les rideaux sans apprêt pendaient comme des loques aux fenêtres et dans les deux chambres du bas, la sienne et celle du jeune couple, les lits de plume, autrefois d’une belle apparence bombée, maintenant mollement secoués, s’affaissaient au milieu.

Faible, et d’un naturel craintif, Alphonsine, malgré sa bonne volonté, ne parvenait pas à donner à la maison cet accent de sécurité et de chaude joie, ce pli d’infaillibilité qui fait d’une demeure l’asile unique contre le reste du monde. On eût dit que, sous la main de la bru, non seulement la maison des Beauchemin ne dégageait plus l’ancienne odeur de cèdre et de propreté, mais qu’elle perdait sa vertu chaleureuse.

En entrant Didace trouva la table à moitié mise et Phonsine affaissée sur une chaise. Frêle, les épaules et les hanches étroites, avec ses cheveux tressés en deux nattes sur le dos et ainsi abandonnée à elle-même, elle avait l’air d’une petite fille en pénitence. Dès qu’elle aperçut son beau-père, elle s’occupa à entamer le pain. Sentant le regard sévère du maître attaché à ses moindres gestes, elle devint de plus en plus gauche. Soudain la miche et le couteau volèrent