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Page:Guèvremont - Le survenant, 1945.djvu/55

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LE SURVENANT

— Je sais pas s’il en a eu un bon prix.

La chute des minutes et de la goutte d’eau reprenait de plus belle. Angélina n’y tenait plus. D’un mouvement décidé, elle décrochait sa chape et, avant de s’acheminer vers la maison de Didace, sur le seuil elle jetait à son père :

— Je veillerai pas tard.

David Desmarais ne bougeait même pas, soit qu’il ignorât de quel tourment était possédée sa fille, soit que, sans vouloir l’admettre, il vît d’un bon œil Angélina s’attacher à un gaillard de la trempe du Survenant.

Aux yeux d’Angélina, le Survenant exprimait le jour et la nuit : l’homme des routes se montrait un bon travaillant capable de chaude amitié pour la terre ; l’être insoucieux, sans famille et sans but, se révélait un habile artisan de cinq ou six métiers. La première fois qu’Angélina sentit son cœur battre pour lui, elle, qui s’était tant piquée d’honneur de ne pas porter en soi la folie des garçons, se rebella. De moins en moins, chaque jour, cependant.

Elle finit par accepter son sentiment, non pas comme une bénédiction, ni comme une croix, loin de là ! mais ainsi qu’elle accueillait le temps quotidien : comme une force, supérieure à la volonté, contre laquelle elle n’avait pas le choix.