Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/101

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croyez-moi. — Quelle idée avez-vous eue là ! — Vous en serez bien avancé ! — C’est une folie ! — Ça se passera, je vous assure. » Puis venaient les anecdotes, les exemples, les preuves, et il était décidé qu’il avait tort.

Mais la comparaison qu’il faisait de leur bêtise à lui-même l’affermissait davantage dans le sentiment de sa force. Assis sur son orgueil comme sur un trône, il n’en vivait que plus calme.

Il y avait, à côté du théâtre, une allée de tilleuls qui s’étendait le long de la rivière ; c’était là, le soir, dans l’été, que les dames du pays venaient prendre le frais, les vieilles avec leur carlin, les autres avec leurs maris et leurs enfants. Quoique la saison ne fût pas encore chaude, Mlle Lucinde s’y promenait tous les soirs, accompagnée de Mme Artémise, qui paraissait être sa mère, car elle la suivait partout comme son ombre ou son cornac.

Une fois, en passant par là, Jules les aperçut, il les salua et continua son chemin sans détourner la tête pour les regarder ensuite, comme cela se pratique tous les jours dans les rues. Le lendemain, à la même heure, il y passa encore ; elles étaient à la même place, assises sur le même banc ; il marchait plus vite que la veille, Mme Artémise le salua par son nom et le fit asseoir à côté d’elle.

C’était une femme mielleuse et caressante, pleine de politesse pour les jeunes gens, et disant volontiers de ces choses agréables qui font rougir ; elle lui causa beaucoup de son drame, du succès qu’il aurait, des acteurs qui le joueraient, de l’effet qu’il produirait, et l’on se sépara gracieusement en se promettant de se revoir le lendemain, et ainsi les jours suivants. Chaque soir, en arrivant sous les arbres, Jules trouvait les deux femmes se promenant ensemble au bord de la rivière, ou bien assises sur un banc à regarder l’eau couler.

Mlle Lucinde parlait peu, elle regardait habituel-