Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/119

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fait, et quand elle me quitte, nous nous jurons mille fois de nous revoir tout à l’heure. Elle dit que je ne l’aime pas assez, et elle me remercie pourtant cent fois par jour de ce que je l’aime, de ce que je lui plais ; elle se laisse aller à mes caresses, elle se glisse vers moi comme une couleuvre et m’enlace de mille bras invisibles, et nous nous promettons de vivre ensemble, de n’adorer que nous-mêmes, de mourir le même jour.

« Je l’entends qui vient. Adieu, adieu ! »

Ce n’était pas Mme Émilie, c’était Catherine, sa cuisinière, qui apportait une lettre à M. Henry. Il reconnut le timbre de sa ville et l’écriture de Jules. Il fut fâché d’avoir fermé si vite la sienne, mais, comme elle était toute cachetée et que, pour l’ouvrir, il eût fallu perdre une page et la recommencer, il la donna de suite pour qu’on la mît à la poste, sans attendre ce que Jules pouvait lui dire. Or voici ce qu’il y avait dans celle de Jules :

jules à henry.

« Tout est fini, ils sont partis.

« Hier matin, j’allai chez Bernardi.

« — Il est parti cette nuit, m’a-t-on dit.

« — Et Mlle Lucinde ?

« — Partie avec lui.

« — Et Mme Artémise ?

« — Partie aussi.

« J’allai au théâtre, le concierge n’était pas là, il n’y avait personne. Je retournai à l’hôtel et je les demandai encore.

« — Est-ce vous qu’ils ont chargé de payer leurs dettes ? me demanda l’hôtelier ; à peine s’ils nous ont payés ! il a bien fallu les laisser s’en aller, que faire contre ces gens-là ?

« Je montai dans les chambres où ils logeaient,