Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fallait bien y croire cependant et voir ce qu’il y avait à faire. On alla consulter le notaire, qui ne donna pas d’avis bien net et n’indiqua aucun moyen bien praticable.

Sans plus rien conter à personne, M. et Mme Gosselin se décidèrent donc à partir aussitôt pour Paris, afin d’aller chez M. Renaud lui-même savoir ce que tout cela voulait dire.

Ils descendirent d’abord chez Morel qui, s’attendant à leur arrivée, n’en fut pas surpris ; il supporta donc sans trop de fatigue l’expansion de leur douleur, leurs larmes, leurs gémissements, car il s’y était résigné d’avance, ce qui importe beaucoup dans ces cas-là. Pour bien jouer toutes les scènes de la vie, tout consiste dans la préparation préalable qui s’est dû faire dans la coulisse ; on n’attrape pas juste le ton du premier coup, il faut parcourir la gamme, quelquefois on va même au delà, et, pénétré de l’esprit du rôle, on s’efforce à rire ou à pleurer intérieurement quoique l’on n’en ait nulle envie. Mais Morel n’avait pas besoin de s’exciter à l’émotion, n’étant pas d’ailleurs susceptible d’une délicatesse si scrupuleuse ou d’une illusion si féconde ; il sympathisait vraiment à leur chagrin, autant que l’on sympathise toutefois aux douleurs d’autrui ; puis il aimait M. Gosselin, c’était une vieille connaissance, sa franchise et sa probité lui plaisaient fort ! sa vulgarité aussi y était peut-être pour quelque chose. Nous nous accrochons volontiers à toutes les analogies de notre nature quelles qu’elles soient, inférieures ou supérieures, on aime mieux les premières et l’on s’enthousiasme des secondes.

Il prit cette affaire à cœur et leur offrit ses services.

— Voyons d’abord le mari, leur dit-il ; parlons-lui, nous nous tournerons ensuite d’un autre côté si nous n’en obtenons rien.

Et, comme c’était un homme expéditif, il envoya