Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/253

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leurs têtes et faisaient fouetter leurs rameaux, les feuilles des haies tressaillaient.

À quelque distance de la rivière, un peu avant d’arriver au pont, le chien subitement passa devant Jules et, se retournant de temps à autre vers lui, sans s’arrêter, il semblait le prier de le suivre.

Arrivé au bord de l’eau, il prit un petit sentier le long du courant, à travers les orties et les saules, et ensuite revint sur ses pas, recommençant toujours le même trajet, qu’il faisait chaque fois plus long et plus rapide ; il aboyait d’une façon saccadée, colère, il allait, venait, s’approchait de Jules, le quittait, revenait à lui, l’attirait sur ses pas, le ramenait d’où il était parti, le reconduisant où il était allé ; ses flancs battaient avec force, son poil se hérissait, il tremblait sur ses pieds, ses yeux s’ouvraient, tout son corps haletant se gonflait dans une dilatation convulsive ; ses aboiements réguliers, qui s’arrêtaient tout à coup et qui recommençaient de même, étaient éraillés, durs, furieux, claquaient et se déchiraient dans l’air, il les poussait en se secouant les côtes sans jamais finir, et quand il passait à une certaine place, sous l’arche du pont, il semblait pris d’une rage nouvelle et redoublait ses cris sinistres.

Il était nuit, la roue du moulin était arrêtée et la chute d’eau tombait dans les ténèbres ; l’écume qui en jaillissait au pied apparaissait parfois sur le courant rapide, qui l’entraînait aussitôt ; l’écho de la vallée répétait les aboiements, qui interrompaient le silence de la nuit.

Jules tâchait de découvrir une différence quelconque dans la monotonie de ces sons furieux, plaintifs et frénétiques tout ensemble ; il s’efforçait de les deviner et de saisir la pensée, la chose, le pronostic, le récit ou la plainte qu’ils voulaient exprimer, mais son oreille n’entendait que les mêmes vibrations presque continues, stridentes, toutes pareilles, et qui se pro-