Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/319

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dans les grands dîners ! on a cependant été obligé d’y renoncer lorsqu’on l’a mis en pension. Ses maîtres, du reste, en sont satisfaits et envoient à tous les trimestres de bonnes notes à ses parents : conduite, bien ; travail, bien. À la dernière distribution, il a même remporté un second prix de thème et un accessit d’écriture.

Mais l’ambition la plus assouvie, la vanité la plus satisfaite, c’est l’ambition et la vanité de Catherine, l’ancienne cuisinière du père Renaud. Avec tout ce qu’elle a volé, tout ce qu’elle a pu attraper et ce qu’on lui a donné, elle s’est établie cabaretière sur le boulevard du Temple, elle trime au comptoir, porte un bonnet à rubans roses, et se laisse courtiser par les habitués. Son commerce prospère, il y a même plusieurs messieurs qui demandent sa main ; mais elle n’est pas pressée, elle attend, elle veut choisir à l’aise et ne se décider que pour un bon parti. Elle a eu soin toutefois de se fournir d’un très beau garçon de café, qui a une superbe paire de moustaches rouges et une fort jolie voix pour crier : « Voilà ! voilà ! servi ! demandé ! »

Quant au père d’Henry, il est toujours classique, libéral, ennemi des Jésuites et aussi du genre humain ; il déclame sans cesse contre les journaux, et il serait frappé, le soir, d’une attaque d’apoplexie s’il avait passé la journée sans lire son journal, le journal, mon journal ; il s’exaspère encore contre les romantiques, mais il admire les Mystères de Paris et le Juif-Errant, il trouve ça « fort » et « bien tapé ». Sa femme en tout et sur tout est invariablement de son avis.

Savez vous qu’Henry va faire un riche, un puissant, un superbe mariage ? il épouse la nièce d’un ministre, celui dont le fils est son ami ; on lui assure deux cent mille francs de dot, il en aura autant plus tard. Le voilà donc presque dans l’opulence et déjà dans l’illustration ; avant quatre ou cinq ans, il sera député, et une fois député où s’arrêtera-t-il ?