Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous, vous me soutiendrez, vous m’aimerez… vous serez mon ange.

Henry tomba la tête sur ses genoux, et y pleurant de joie :

— Ô mon Dieu ! je ne peux pas dire ce que j’éprouve, mais regarde-moi… aime-moi.

Il prenait ses mains et les couvrait de baisers. Plus calme que lui, et triomphant de sa faiblesse :

— Modère-toi, ami. Oui, nous serons heureux, nous nous aimerons… Oh ! ne pleure pas, tu rougis tes beaux yeux.

Et elle le caressait comme un enfant qu’on console. Après un long silence :

— Il y a longtemps aussi moi que je t’aime. D’abord j’éprouvais du plaisir à regarder ta figure ; quand tu n’étais pas là, j’y repensais, peu à peu toute autre idée me devint insupportable, la moindre chose me faisait songer à toi, je te retrouvais partout. Te souviens-tu de ce soir où nous avons causé si longtemps ensemble dans le salon ? je regardais les mots qui sortaient de ta bouche, je te considérais avec étonnement, tu étais beau et tout harmonieux comme un chant.

— Si je m’en souviens ! si je m’en souviens !

Elle continua :

— Mais tu ne t’apercevais de rien, toi ; je voyais bien que tu m’aimais, mais tu ne devinais pas que je t’aimais ; mon mari…

— Ah ! votre mari ! pouvez-vous appeler de ce nom cet homme vulgaire, qui…

— Tais-toi, dit-elle d’un air grave, tu le connais mal, il est bon, généreux, il m’aime.

— Vous aimer ? lui !

— N’en parlez pas, ne suis-je pas sa femme ? ne dois-je pas lui être fidèle ? Oui, son cœur répugne au mien, il ne m’a jamais comprise, il ne connaît l’amour que dans ce qu’il a de brutal et d’odieux, je l’ai en horreur. Si tu savais !…