Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/65

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mante pour nous qu’un gâteau de Savoie ou qu’une dinde aux marrons.

Ils ont bien leur charme pourtant, ces petits morceaux de papier chiffonnés, qu’on se glisse dans la main et qu’on lit le soir, sous les réverbères, à la lueur des boutiques, qu’on relit rentré chez soi, qu’on relit six ans après avec une tendre larme. Voici quelques échantillons de ceux qu’Henry et Mme Renaud s’échangeaient :

« Je t’ai rêvé cette nuit, j’ai été heureuse, et toi ? Il sortira tantôt, à trois heures. »

Ce mot il signifie toujours le mari, le tyran, la maladie à éviter. Exemple : prenez garde à vous, il nous surveille ; venez demain, il monte sa garde ; je crains quelque malheur, il est triste et paraît préoccupé, etc.

Le soir, en passant derrière elle, il lui remettait un autre morceau de papier :

« Heureux ? non, je ne suis pas heureux, je vous aime trop. Il faisait du soleil tantôt, pourquoi n’êtes-vous pas descendue au jardin ? Oui, je vous aime, écrivons-nous ainsi toute la journée, quand nous ne pouvons nous voir. Oh ! que ta lettre, hier soir, m’a fait bondir le cœur ! je la porte toujours sur moi, je la sens sur ma poitrine comme une caresse continue. »

Autre billet écrit sur du papier très fin, roulé en petite boule :

« Ne lisez cela que chez vous et seul. Avant de vous connaître, j’étais comme un corps sans âme, comme une lyre sans corde. Vous êtes comme le soleil, qui inonde tout de lumières et fait éclore les parfums. Je suis heureuse maintenant, la vie m’est belle, tes yeux sont si doux, si beaux ! tu me plais tant ! tes lèvres sont si charmantes et si gracieuses ! »

Réponse :

« Depuis que vous m’avez enivré de vos regards,