Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/68

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Et elle s’en allait ensuite, ayant longtemps attendu une réponse qui n’était pas venue, et qui sait ? peut-être même une réfutation triomphante.

Henry se disait alors : « Pourquoi irai-je troubler cette eau pure ? faner cette fleur ? pourquoi, afin de satisfaire l’appétit d’un moment, la plonger dans la honte et les regrets ? ce serait pour moi-même la descendre de ce piédestal où mon amour l’a posée ; elle m’aime de l’amour des anges, le ciel n’est-il pas assez vaste ? cet amour n’est-il pas assez doux ? »

Et puis, par une réaction ordinaire, il en venait à jurer horriblement et à frapper du pied de façon à défoncer le parquet. Ce juron voulait dire que l’eau pure est faite pour désaltérer, et les fleurs pour être senties ; que l’amour des anges n’est pas celui des hommes, et qu’il était homme, et qu’en conséquence, etc.

Après quoi il allait voir Morel et lui parlait de sa bonne fortune, de l’adorable maîtresse qu’il avait et du bonheur de ses nuits ; et puis ils riaient beaucoup ensemble sur le compte de Mendès et d’Alvarès, qui, amoureux tous deux, ne trouvaient rien de mieux à faire, pour satisfaire leur passion, que de copier des vers et de jouer de la flûte.

XII

jules à henry.

«  Grande nouvelle ! grande nouvelle ! il y a ici une troupe de comédiens, on va jouer mon drame, oui, Henry, mon Chevalier de Calatrava, qui est fini, terminé, j’ai fait le cinquième acte cette nuit ; je viens de me réveiller, je suis encore tout étourdi et endormi, je compte surtout sur la scène des tombeaux comme effet,