Page:Guy de Maupassant - Notre Cœur.djvu/255

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entière, puis deux verres de Kummel après son café ; et, comme il était presque à jeun, n’ayant mangé avant de partir qu’un peu de viande froide et du pain, il se sentit envahi, engourdi, soulagé par un étourdissement puissant qu’il prenait pour de l’oubli. Ses idées, son chagrin, ses angoisses semblaient délayées, noyées dans le vin clair, qui avait fait, en si peu de temps, de son cœur torturé un cœur presque inerte.

Il revint à Montigny à pas lents, rentra chez lui, et, très las, très somnolent, il se coucha dès le soir tombé, et s’endormit tout de suite.

Mais il se réveilla en pleines ténèbres, mal à l’aise, tourmenté comme si un cauchemar chassé pendant quelques heures avait reparu furtivement pour interrompre son sommeil. Elle était là, elle, Mme de Burne, revenue, rôdant encore autour de lui, toujours accompagnée de M. de Bernhaus. « Tiens ! se dit-il, je suis jaloux à présent ; pourquoi donc ? »

Pourquoi était-il jaloux ? Il le comprit bien vite ? Malgré ses craintes et ses angoisses, tant qu’il avait été son amant, il la sentait fidèle, fidèle sans élan, sans tendresse, mais avec une résolution loyale. Or, il venait de tout briser, il l’avait faite libre : c’était fini. Resterait-elle maintenant sans liaison ? Oui, pendant quelque temps, sans doute… Et puis ?… Cette fidélité même qu’elle lui avait gardée jusqu’ici sans qu’il en pût douter, ne venait-elle pas du vague pressentiment que, si elle le quittait, lui Mariolle,