Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/112

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que donne le souvenir d’une chose bonne et finie ; et elle revit brusquement l’île radieuse avec son parfum sauvage, son soleil qui mûrit les oranges et les cédrats, ses montagnes aux sommets roses, ses golfes d’azur, et ses ravins où roulent des torrents.

Alors l’humide et dur paysage qui l’entourait, avec la chute lugubre des feuilles, et les nuages gris entraînés par le vent, l’enveloppa d’une telle épaisseur de désolation qu’elle rentra pour ne point sangloter.

Petite mère, engourdie devant la cheminée, sommeillait, accoutumée à la mélancolie des journées, ne la sentant plus. Père et Julien étaient partis se promener en causant de leurs affaires. Et la nuit vint, semant de l’ombre morne dans le vaste salon, qu’éclairaient par éclats les reflets du feu.

Au-dehors, par les fenêtres, un reste de jour laissait distinguer encore cette nature sale de fin d’année, et le ciel grisâtre, comme frotté de boue lui-même.

Le baron bientôt parut, suivi de Julien ; dès qu’il eut pénétré dans la pièce enténébrée, il sonna, criant : « Vite, vite, de la lumière ! il fait triste ici. »

Et il s’assit devant la cheminée. Pendant que ses pieds mouillés fumaient près de la flamme, et que la crotte de ses semelles tombait, séchée par la chaleur, il se frottait gaiement les mains : « Je crois bien, dit-il, qu’il va geler ; le ciel s’éclaircit au nord ; c’est pleine lune ce soir ; ça piquera ferme cette nuit. »

Puis, se tournant vers sa fille : « Eh bien, petite, es-tu contente d’être revenue dans ton pays, dans ta maison, auprès des vieux ? »