Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/125

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Et, entre chaque ferme, les plaines recommençaient avec d’autres fermes, au loin, de place en place.

Enfin, on pénétra dans une grande avenue de sapins aboutissant à la route. Les ornières boueuses et profondes faisaient se pencher la calèche et pousser des cris à petite mère. Au bout de l’avenue, une barrière blanche était fermée ; Marius courut l’ouvrir et on contourna un immense gazon pour arriver, par un chemin arrondi, devant un haut, vaste et triste bâtiment dont les volets étaient clos.

La porte du milieu soudain s’ouvrit ; et un vieux domestique paralysé, vêtu d’un gilet rouge rayé de noir que recouvrait en partie son tablier de service, descendit à petits pas obliques les marches du perron. Il prit le nom des visiteurs et les introduisit dans un spacieux salon dont il ouvrit péniblement les persiennes toujours fermées. Les meubles étaient voilés de housses, la pendule et les candélabres enveloppés de linge blanc ; et un air moisi, un air d’autrefois, glacé, humide, semblait imprégner les poumons, le cœur et la peau de tristesse.

Tout le monde s’assit et on attendit. Quelques pas entendus dans le corridor au-dessus annonçaient un empressement inaccoutumé. Les châtelains surpris s’habillaient au plus vite. Ce fut long. Une sonnette tinta plusieurs fois. D’autres pas descendirent un escalier, puis remontèrent.

La baronne, saisie par le froid pénétrant, éternuait coup sur coup. Julien marchait de long en large. Jeanne, morne, restait assise auprès de sa mère. Et le baron, adossé au marbre de la cheminée, demeurait le front bas.