Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/255

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corps. Ils étaient meurtris, broyés, saignants. L’homme avait le front ouvert et toute la face écrasée. La mâchoire de la femme pendait, détachée dans un choc ; et leurs membres cassés étaient mous comme s’il n’y avait plus d’os sous la chair.

On les reconnut cependant ; et on se mit à raisonner longuement sur les causes de ce malheur.

« Qué qui faisaient dans c’té cahute ? » dit une femme. Alors, le vieux pauvre raconta qu’ils s’étaient apparemment réfugiés là dedans pour se mettre à l’abri d’une bourrasque, et que le vent furieux avait dû chavirer et précipiter la cabane. Et il expliquait que lui-même allait s’y cacher quand il avait vu les chevaux attachés aux brancards, et compris par là que la place était occupée.

Il ajouta d’un air satisfait : « Sans ça, c’est moi qu’j’y passais. » Une voix dit : « Ça aurait-il pas mieux valu ? » Alors, le bonhomme se mit dans une colère terrible : « Pourquoi qu’ça aurait mieux valu ? Parce qu’je sieus pauvre et qu’i sont riches ! Guettez-les, à c’t’heure… » Et, tremblant, déguenillé, ruisselant d’eau, sordide avec sa barbe mêlée et ses longs cheveux coulant du chapeau défoncé, il montrait les deux cadavres du bout de son bâton crochu ; et il déclara : « J’sommes tous égaux, là devant. »

Mais d’autres paysans étaient venus, et regardaient de coin, d’un œil inquiet, sournois, effrayé, égoïste et lâche. Puis on délibéra sur ce qu’on ferait ; et il fut décidé, dans l’espoir d’une récompense, que les corps seraient reportés aux châteaux. On attela donc deux carrioles. Mais une nouvelle difficulté surgit. Les uns voulaient simplement garnir de paille le fond des voi-