Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/320

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quelque nouvelle ou quelque renseignement sur lui, apportez-les-moi à l’hôtel de Normandie, rue du Havre, et je vous payerai bien. »

Il répondit : « Comptez sur moi, Madame. »

Et elle se sauva.

Elle se remit à marcher sans s’inquiéter où elle allait. Elle se hâtait comme pressée par une course importante ; elle filait le long des murs, heurtée par des gens à paquets ; elle traversait les rues sans regarder les voitures venir, injuriée par les cochers ; elle trébuchait aux marches des trottoirs auxquelles elle ne prenait point garde ; elle courait devant elle, l’âme perdue.

Tout à coup elle se trouva dans un jardin et elle se sentit si fatiguée qu’elle s’assit sur un banc. Elle y demeura fort longtemps apparemment, pleurant sans s’en apercevoir, car des passants s’arrêtaient pour la regarder. Puis elle sentit qu’elle avait très froid ; et elle se leva pour repartir ; ses jambes la portaient à peine tant elle était accablée et faible.

Elle voulait entrer prendre un bouillon dans un restaurant, mais elle n’osait pas pénétrer dans ces établissements, prise d’une espèce de honte, d’une peur, d’une sorte de pudeur de son chagrin qu’elle sentait visible. Elle s’arrêtait une seconde devant la porte, regardait au dedans, voyait tous ces gens attablés et mangeant, et s’enfuyait intimidée, se disant : « J’entrerai dans le prochain. » Et elle ne pénétrait pas davantage dans le suivant.

À la fin elle acheta chez un boulanger un petit pain en forme de lune, et elle se mit à le croquer tout en marchant. Elle avait grand’soif, mais elle ne savait où aller boire et elle s’en passa.