Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

revenaient d’un vol arrondi au-dessus de la foule agenouillée, comme pour voir aussi ce qu’on faisait là.

Mais le chant s’arrêta après un amen hurlé cinq minutes ; et le prêtre, d’une voix empâtée, gloussa quelques mots latins dont on ne distinguait que les terminaisons sonores.

Il fit ensuite le tour de la barque en l’aspergeant d’eau bénite, puis il commença à murmurer des oremus en se tenant à présent le long d’un bordage en face du parrain et de la marraine qui demeuraient immobiles, la main dans la main.

Le jeune homme gardait sa figure grave de beau garçon, mais la jeune fille, étranglée par une émotion soudaine, défaillante, se mit à trembler tellement, que ses dents s’entre-choquaient. Le rêve qui la hantait depuis quelque temps, venait de prendre tout à coup, dans une espèce d’hallucination, l’apparence d’une réalité. On avait parlé de noce, un prêtre était là, bénissant, des hommes en surplis psalmodiaient des prières ; n’était-ce pas elle qu’on mariait ?

Eut-elle dans les doigts une secousse nerveuse, l’obsession de son cœur avait-elle couru le long de ses veines jusqu’au cœur de son voisin ? Comprit-il, devina-t-il, fut-il comme elle envahi par une sorte d’ivresse d’amour ? ou bien, savait-il seulement par expérience qu’aucune femme ne lui résistait ? Elle s’aperçut soudain qu’il pressait sa main, doucement d’abord, puis plus fort, plus fort, à la briser. Et, sans que sa figure remuât, sans que personne s’en aperçût, il dit, oui certes, il dit très distinctement : « Oh ! Jeanne, si vous vouliez, ce seraient nos fiançailles. »