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Page:Guyau - Éducation et Hérédité.djvu/310

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L’ÉDUCATION MORALE.

vel fato velastris imputant ; nolunt enim suum esse, quod malum agnoscunt. » Et il dit des chrétiens : « Christianus vero quid simile ? neminem pudet, neminem pœnitet, nisi planè retrô non fuisse ; si denotatur, gloriatur ; si accusatur, non defendit : interrogatus, vel ultrô confitetur ; damnatus, gratias agit, Quid hoc mali est, quod naturalia mali non habet, timorem, pudorem, tergiversationem, pœnitentiam, deplorationem ? Qui hoc mali est, cujus reus gaudet ? cujus accusatio votum est, et pœna felicitas !  »

Quoique la pensée semble finie ici, Tertullien ajoute dans le texte : « — Non potes dementiam dicere quod revinceris ignorare. » Par là il répond à un reproche souvent formulé contre les chrétiens. On voyait dans l’enthousiasme avec lequel ils couraient à la mort non l’effet d’un courage véritable, mais celui d’un égarement fanatique, semblable à celui que déployaient certaines sectes de l’Orient : aussi s’en étonnait-on sans l’admirer ; on assistait à leurs supplices comme les Grecs assistèrent à la mort du gymnosophiste Calamus qui, volontairement, et pour se débarrasser des misères de la vie, se brûla sur un bûcher en présence de l’armée d’Alexandre. On comparait même très réellement les chrétiens aux Brahmanes, car, dans l’Apologétique, Tertullien repousse ce parallèle : Neque bachmanæ aut indorum gymnosophistæ sumus (XLII). Les philosophes de l’époque recommandaient sans doute un mépris de la mort et de la souffrance analogue à celui que pratiquaient les chrétiens ; bien plus, on vient de le voir, le stoïcien idéal d’Épictète ressemble par bien des traits au chrétien ; mais, selon Épictète, les « Galiléens agissent par coutume (ἠθει) et par entraînement ; le philosophe doit agir par raison et réflexion (λόγῳ). — (Entretiens I. IV, vii). Marc-Aurèle met aussi en contraste la conduite du philosophe, toujours prêt à mourir « par son jugement propre », et celle des chrétiens, dont la mort est, selon lui, l’effet d’une « obstination » irrationnelle ; ils y courent, dit-il, avec la précipitation des troupes légères, tandis que le courage réfléchi du vrai sage l’attend sans reculer. Ainsi se maintenait l’opposition des chrétiens et des philosophes : en ôtant aux « Galiléens » la « réflexion », on prétendait leur ôter le mérite, on leur enlevait le droit à l’admiration ; et leur martyre, au lieu de paraître un dévouement, semblait être une « démence » produite par le fanatisme.