Aller au contenu

Page:Guyau - Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
194
CRITIQUE DE L’IDÉE DE SANCTION.

moral ; il lui impose comme idéal une sorte de « travail à la tâche, » qui est toujours bien plus productif que le « travail à la journée » et surtout que le travail « à l’intention ; » c’est une règle éminemment pratique, non une sanction. Le caractère essentiel d’une vraie sanction morale, en effet, serait de ne jamais constituer une fin, un but ; l’enfant qui récite correctement sa leçon pour le simple but de recevoir ensuite des dragées ne les mérite plus, au point de vue de la morale, précisément parce qu’il les a prises pour fin. La sanction doit donc se trouver tout à fait en dehors des régions de la finalité, à plus forte raison de l’utilité ; sa prétention est d’atteindre la volonté en tant que cause, sans vouloir la diriger selon un but. Aussi nul artifice ne peut transformer le principe pratique de la justice sociale : « Attendez-vous à recevoir des hommes en proportion de ce que vous leur donnerez, » en ce principe métaphysique : « Si la cause mystérieuse qui agit en vous est bonne en elle-même et par elle-même, nous produirons un effet agréable sur votre sensibilité ; si elle est mauvaise, nous ferons souffrir votre sensibilité. » La première formule — proportionnalité des échanges — était rationnelle, parce qu’elle constituait un mobile pratique pour la volonté et portait sur l’avenir : la seconde, qui ne contient aucun motif d’action et qui, par un effet rétroactif, porte sur le passé au lieu de modifier l’avenir, est pratiquement stérile et moralement vide. La notion de justice distributive n’a donc de valeur qu’en tant qu’elle exprime un idéal tout social, dont les lois économiques tendent d’elles-mêmes à produire la réalisation ; elle devient immorale si, en lui donnant un caractère absolu et métaphysique, on veut en faire le principe d’un châtiment ou d’une récompense.

Que la vertu ait pour elle le jugement moral de tous