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Page:Guyau - Les Problèmes de l’esthétique contemporaine.djvu/127

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front, comme certaines tribus de l’Afrique, une étoile qu’ils y ont eux-mêmes incrustée. On peut l’affirmer en toute certitude, un grand peuple est plus que jamais aujourd’hui incapable de se passer de la science, qui est une condition de vie dans la sélection nationale ; d’autre part la science ne peut se passer de la théorie pure, et enfin, partout où il y aura de la science pour la science, aucune considération morale ou historique ne peut faire prévoir que l’art pour l’art ne puisse apparaître.


En somme, l’histoire nous montre bien que l’art varie et que ses variations correspondent à celles des mœurs, de l’état social, des langues et même des formes politiques ; mais elle est loin de prouver que ces variations impliquent nécessairement une décadence actuelle ou future. Allons plus loin. Quel est le signe caractéristique du progrès pour un être sentant ? C’est de pouvoir, lorsqu’il est arrivé à un état supérieur, éprouver des sensations et des émotions nouvelles, sans cesser d’être encore accessible à ce que contenaient de grand ou de beau ses précédentes émotions. Or, c’est ce qui arrive à l’homme moderne pour les émotions de l’art. Tout en goûtant l’art propre à notre époque et à notre milieu, nous restons capables d’admirer les idées et les œuvres d’un autre âge. Nous pouvons avoir des préférences pour Alfred de Musset ou pour Victor Hugo, pour Beethoven, Chopin ou Berhoz ; nous sommes peut-être plus attirés par eux, ils nous racontent « notre propre rêve, » comme disaient les anciens ; n’importe : nous pouvons comprendre aussi Racine, même Boileau, nous admirons